Écrire son témoignage : Maguelone Aribaud raconte son cancer

Écrire son témoignage, c’est parfois une manière de reprendre possession de sa vie. Maguelone Aribaud nous parle de son parcours de santé et d'autrice.

02.07.2025 · Caroline Duchesnes Écrire

Quand elle a appris être atteinte d’un cancer de la langue, Maguelone Aribaud a pris la plume pour mettre des mots sur ce qu’elle vivait et ressentait. Rencontre avec une autrice pour qui écrire a été à la fois un acte de survie et une manière d’entrer en littérature. Son expérience est précieuse pour qui voudrait également écrire son témoignage.

Maguelone Aribaud raconte son cancer de la langue dans son livre Langue étrangère

Langue étrangère, paru fin 2024, se hisse depuis sa sortie dans les meilleures ventes de livres de non-fiction sur la librairie BoD. Nous avons souhaité en savoir plus sur cette expérience si particulière qu’est l’écriture d’un témoignage. Merci à Maguelone Aribaud d’avoir accepté de répondre à nos questions !

Maguelone Aribaud a 51 ans, elle vit à Toulouse et est maman de deux adolescentes de 16 et 14 ans. En octobre 2022, sa vie bascule lorsqu’on lui diagnostique un cancer de la langue — une ironie cruelle pour cette grande bavarde. Elle est opérée en décembre de la même année à l’Oncopole de Toulouse. L’intervention comprend une reconstruction par lambeau libre, une technique chirurgicale qui consiste à prélever un morceau de chair sur l’avant-bras pour reconstruire la langue.

Aujourd’hui, Maguelone vit avec une langue en deux morceaux, qui lui permet de parler normalement. De cette épreuve, elle a tiré un récit fort et sincère, Langue étrangère, auto-édité chez BoD en décembre 2024.

La genèse d’un récit de témoignage

Langue étrangère est votre premier livre. Aviez-vous déjà en vous une passion pour l’écriture auparavant ?

J’ai toujours aimé les mots, j’ai toujours un peu écrit mais je n’avais jamais eu envie d’aller plus loin ou d’en faire quelque chose ; c’est clairement l’épreuve du cancer qui m’a poussée à me lancer. L’envie de raconter et de partager mon parcours a été le déclencheur.

À quel moment avez-vous ressenti le besoin d’écrire sur ce que vous viviez ?

J’ai commencé à écrire tout de suite, plus précisément le jour où j’ai reçu les résultats de la biopsie. J’étais dans mon bureau, mes oreilles se sont mises à siffler, j’ai ouvert Word et j’ai commencé à écrire. Je n’ai rien maîtrisé, c’est sorti tout seul, l’urgence d’écrire. J’ai écrit un peu tous les jours depuis ce jour-là.

Était-ce avant tout un besoin personnel ou aviez-vous déjà l’intention de publier votre récit ?

Cela a été un besoin vital au début, une envie très personnelle, une façon de cracher ma haine, je n’avais absolument pas en tête à ce moment-là le projet de publier ce que j’écrivais, j’écrivais pour me faire du bien, très égoïstement.

L’envie de partager mon histoire est arrivée assez tardivement, j’ai commencé à y songer quand je me suis rendu compte que j’allais m’en sortir et que j’avais traversé cette épreuve de façon assez sereine au final. Je me suis dit alors que mon histoire pourrait peut-être en aider d’autres.

« Ma fille cadette a lu le livre en une soirée et m’a déposé le matin près de mon bol
un petit mot qui disait : J’ai lu le livre en entier, j’ai beaucoup aimé même si j’ai beaucoup pleuré. »

Le processus d’écriture d’un témoignage

Comment l’écriture s’est-elle déroulée : avez-vous suivi un plan ?

Je n’ai suivi aucun plan, j’ai écrit au fur et à mesure, sur le moment, donc la structure est assez simple, par ordre chronologique. L’annonce de la maladie, le traitement (la chirurgie puis la radiothérapie) puis l’après (le travail avec l’orthophoniste et la kiné et le retour « dans » la vie).

On me fait souvent comme retour qu’il y a beaucoup de détails très précis ; je ne me serais certainement jamais souvenu de tous ces détails si je n’avais pas écrit au fur et à mesure. Écrire sur le moment est vraiment un plus dans les témoignages, cela permet d’être plus précis et de ne passer à côté d’aucune subtilité.

Votre livre se lit comme un roman : le récit au présent immerge le lecteur dans votre vécu, et votre style est apprécié. Y a-t-il des auteurs en particulier ou d’autres récits de vie qui vous ont inspirée dans cette approche ?

Le présent s’est imposé dès le départ étant donné que j’écrivais au fur et à mesure et que je racontais des faits qui venaient d’arriver ou des sentiments que je venais de ressentir, et puis le présent permet d’embarquer les autres au plus près de ce que l’on vit.

Je ne peux pas dire que certains auteurs ou écrits m’aient plus inspiré que d’autres étant donné que lorsque j’ai commencé à écrire, je n’avais pas l’intention de publier ce que j’étais en train d’écrire, l’envie est arrivée bien après, en revanche c’est vrai qu’il y a des auteurs qui sont faits pour raconter, qui ont un style et une approche qui me touchent, je pense à Edouard Louis ou Christian Bobin ou Sylvain Tesson, mais là, c’est le très haut du panier ! Mais c’est important de ne jamais perdre de vue ceux qui inspirent, en restant très humble, à son niveau.

Y a-t-il eu des passages particulièrement difficiles à écrire ? Comment les avez-vous abordés ?

Je ne peux pas dire que certains passages ont été plus difficiles à écrire que d’autres, en revanche certains m’ont plus émue que d’autres, je pense au passage de la perte de mon chat ou de mon ami Pierre, j’ai beaucoup pleuré à ces moments-là, beaucoup plus que pour ma langue, et raconter ce chagrin, le coucher sur papier a été dur, émotionnellement parlant. Aujourd’hui encore quand je les relis, j’ai la gorge un peu serrée, ils me renvoient à ma peine.

témoignage cancer de la langue - Langue étrangère de Maguelone Aribaud

Écrire son témoignage : la frontière entre le public et l’intime

Comment avez-vous vécu le fait de publier un texte aussi intime ? Avez-vous eu peur d’en dire trop sur vous, ou pas assez ?

À partir du moment où je me suis décidée à partager mon aventure, sachant que j’avais écrit sans filtre, je savais que j’allais me mettre un peu à nu et embarquer avec moi ceux que j’avais côtoyés, mes proches et aussi tous les soignants qui se sont occupés de moi. C’est un choix, je l’assume pleinement, je crois qu’on ne peut pas être vrai si on masque la vérité !

Quelle a été la réaction de votre entourage ?

Bien que nous parlions tous beaucoup et fort dans ma famille, nous sommes pudiques, nous avons tous un peu de mal à exprimer nos sentiments. Je n’avais dit à personne que j’écrivais, j’ai prévenu mes proches quelques jours avant la sortie du livre, ils ont été surpris bien entendu mais fiers je crois aussi.

Et je n’ai pas eu de leur part des retours avec des tonnes d’effusion d’ailleurs ; au-delà de la pudeur, je pense que c’est beaucoup lié au fait qu’ils ont découvert ce que j’ai vécu de l’intérieur, c’est intime, ce n’est pas simple de faire un retour dès que l’on parle d’intime. Ma fille cadette en revanche (12 ans à l’époque), qui a beaucoup de facilité à exprimer ce qu’elle ressent, a lu le livre en une soirée et m’a déposé le matin près de mon bol un petit mot qui disait : « J’ai lu le livre en entier, j’ai beaucoup aimé même si j’ai beaucoup pleuré ». Ce petit mot est très précieux…

Et celle des lecteurs inconnus ? Avez-vous reçu des retours marquants ?

Je reçois pas mal de retours en effet de personnes que je ne connais pas et ceux qui me touchent le plus sont ceux qui me disent que le livre les a aidés, que c’était dur à lire parfois mais que le récit est optimiste et positif et même s’ils ont souvent été émus, ils ont ri aussi. Et je trouve ça super car la joie ne m’a jamais quittée pendant que j’écrivais, j’aime bien que ça transparaisse dans les lignes et que les autres le ressentent.

Une anecdote venant d’une aidante dont le mari a eu aussi un cancer ORL : elle m’a envoyé une photo de son mari en train de lire le livre sur sa tablette accompagné du message « Tout arrive, mon mari n’avait pas lu depuis des années !». J’ai trouvé ça génial que mon histoire lui ait permis de se remettre à lire !

« Écrire pendant cette épreuve a été ma béquille. J’aurais pu perdre la parole ou ne pas recouvrer
toute mon élocution ; l’écriture serait alors devenue le seul moyen de communiquer. »

Le rôle du témoignage

Pensez-vous que les récits personnels ont un rôle à jouer dans la société ?

Complètement, un récit est un vécu, le reflet d’un parcours qui peut aider, inspirer, accompagner. Je suis contente d’avoir pu partager mon histoire, au-delà de m’avoir aidé à mettre le mot FIN à ma maladie, ce livre est un moyen pour moi aussi de transformer mon épreuve en quelque chose qui peut en aider d’autres. Je me dis que tout cela ne me sera pas arrivé pour rien s’il peut en éclairer d’autres.

Avez-vous le sentiment d’avoir contribué à briser certains tabous ? Sur le corps, la maladie, la parole ?

Certainement, plus on parle et on écrit sur la maladie et la différence, puis on les banalise !

Le cancer n’est pas un tabou, il fait partie de nos vies à tous, nous sommes tous touchés dans notre entourage par quelqu’un qui y est confronté. En parler, c’est aussi dédramatiser : le cancer se soigne très bien dans une grande majorité des cas.

Ce qui est un peu plus atypique avec mon histoire, c’est qu’elle met en lumière un cancer assez méconnu, le cancer de la langue (appartenant à la famille des cancers ORL ou cancers tête et cou) : on n’en parle pas beaucoup alors qu’il explose chez les sujets jeunes de moins de 50 ans.

Et puis la langue est un organe essentiel qui touche à la parole, au goût, au baiser, à des sujets qu’il peut être un peu compliqué parfois d’aborder.

Est-ce que l’écriture vous a aidée dans votre parcours de reconstruction et d’acceptation de cette épreuve ?

Écrire pendant cette épreuve a été ma béquille. Je me suis retrouvée tous les jours avec plaisir en compagnie des mots, ils ont été une soupape pour moi, un sas de décompression primordial, d’autant plus que je ne savais pas si j’allais reparler à nouveau après l’opération. J’aurais pu perdre la parole ou ne pas recouvrer toute mon élocution ; l’écriture serait alors devenue encore plus essentielle pour moi, le seul moyen de communiquer.

écrire un témoignage sur son cancer - cancer de la langue - Langue étrangère de Maguelone Aribaud

Le processus de publication

Pourquoi avoir fait le choix de l’auto-édition, et de passer par BoD en particulier ?

Pour tout vous avouer j’ai essayé de le faire publier par le biais classique, j’ai sollicité de nombreux éditeurs mais je n’ai eu que très peu de retours, tous négatifs. J’ai eu un temps d’hésitation, je me suis dit que si aucun éditeur n’en avait voulu, c’est que le récit n’était pas bon ou qu’il n’intéressait personne. Mais j’avais en tête depuis le début la piste de l’auto-édition, cela n’a pas été une voie de dépit, au contraire, je suis bien plus libre avec ce choix, je ne le regrette absolument pas et je le referai sans hésiter !

Comment s’est déroulé le travail sur le texte et la conception du livre ? La couverture en particulier est très réussie : avez-vous confié sa réalisation à un professionnel ?

La conception du livre s’est déroulée très simplement, j’avais déjà en tête le format que je souhaitais, j’ai téléchargé un modèle proposé par BoD puis j’y ai inséré mon texte finalisé. J’avais bien réfléchi en amont aussi sur la typo, l’espacement souhaité, je voulais que le texte soit aéré, agréable à lire, c’est vrai que cela prend beaucoup de temps de peaufiner la mise en page mais là encore on est libre de faire ce que l’on veut ! Je me suis beaucoup aidée des tutos et articles de blog de BoD aussi.

Pour la couverture, je voulais un visuel percutant, j’ai tout de suite pensé au travail d’une amie graphiste (Élodie Maillard), elle est très douée et a un regard très poétique, je lui ai proposé de lire le livre d’abord, elle a été emballée et m’a offert ensuite ce visuel que j’adore, cette bouche qui crie avec à l’intérieur une langue parfaite… Elle m’a fait un très beau cadeau avec cette illustration.

« Savoir que mon histoire accompagne d’autres personnes, des patients mais pas que,
cela me permet aussi de donner un sens à ce que j’ai traversé. »

Le mot de la fin

Avez-vous envie d’écrire à nouveau ? Sous d’autres formes, sur d’autres sujets ?

Oui, j’ai très envie d’écrire à nouveau, l’envie est toujours très présente, il faut désormais que je trouve le sujet, je cogite en ce moment, il se peut que je continue encore à écrire autour de la langue, je suis en train de mûrir tout cela ! Je ne sais pas si j’aurai le talent pour me lancer dans la fiction, je me sens plus à l’aise pour l’instant dans le vécu, mais je n’écarte rien.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite écrire son témoignage mais n’ose pas se lancer ?

Je lui conseillerais de s’écouter tout simplement et de garder cela pour elle au début pour ne pas avoir de regard extérieur d’attente ou de jugement. Je crois que l’écriture, dans le cadre d’un témoignage sur un vécu difficile, est un vrai cri solitaire qu’il est difficile de partager, au début en tout cas. Moi j’ai aimé le fait d’être seule avec mes mots, c’était ma chasse gardée, mon moment à moi, j’y étais bien. J’ai choisi de le partager mais j’aurais pu ne pas le faire. Écrire n’engage à rien, ça fait juste du bien alors autant ne pas s’en priver !

Que vous a appris cette expérience ?

Cette expérience d’écriture et d’auto-édition m’a conforté que les mots, au-delà du fait qu’ils apportent beaucoup à soi-même bien entendu, peuvent aussi en aider d’autres. Je crois que je ne l’avais pas mesuré. Et cela a beaucoup de valeur pour moi. Savoir que mon histoire accompagne d’autres personnes, des patients mais pas que, cela me permet aussi de donner un sens à ce que j’ai traversé.

Encore merci à Maguelone Aribaud de s’être confiée sur l’écriture de son témoignage. Nous lui souhaitons le meilleur pour la suite, à commencer par une bonne santé et de belles heures d’écriture !

Vous pouvez retrouver son parcours et son actualité sur son compte Instagram @langue_etrangere_lelivre. Pour vous procurer Langue étrangère, rendez-vous sur la librairie BoD, ou bien les principales plateformes de ventes de livres en ligne. Il est également disponible à la commande dans les librairies physiques, et en service presse si vous êtes journaliste ou influenceur·se littéraire.

Si vous envisagez d’écrire sur votre histoire, n’hésitez pas à consulter notre article : Écrire une autobiographie : pourquoi, comment ?

Autrice

Caroline Duchesnes

Ancienne correctrice pour des maisons d’édition et elle-même autrice, Caroline est adepte des ateliers d’écriture et lit tout un tas d’ouvrages sur l’art d’écrire. Elle aime partager ses connaissances en rédigeant des articles de conseils d’écriture sur le blog de BoD.

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