Vous rêvez d’écrire un roman épistolaire ou une fiction sous forme de lettres, mais vous ne savez pas par où commencer ? Ce genre littéraire à la fois intime, immersif et original était très courant au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, il séduit de plus en plus d’auteur·rice·s contemporain·e·s.
Qu’il s’agisse d’une correspondance amoureuse, d’un échange dramatique ou d’un récit à plusieurs voix, la forme épistolaire séduit par son intimité, sa subjectivité et sa capacité à plonger les lecteur·rice·s dans l’esprit de ses personnages. Mais derrière sa forme libre et fragmentée, ce genre exige une grande maîtrise narrative. Voici 5 étapes clés pour raconter une histoire à travers des lettres.
1. Définir la forme la plus adaptée à l’histoire
Le roman épistolaire est un format idéal pour les intrigues psychologiques, romantiques, historiques ou policières. Il se prête donc particulièrement bien aux genres suivants : polar, thriller, romance, feel good, roman historique… Ou encore sagas familiales et autres histoires de secrets de famille.
Il est important de prendre conscience que sa structure apporte une certaine complexité. En effet, un roman épistolaire se distingue d’une narration classique. L’histoire se dessine en filigrane des lettres.
Il est essentiel de déterminer dès le départ si votre histoire doit consister en :
- Un récit “patchwork” mêlant narration et différents fragments de textes (lettres, journal, documents, interviews…), comme c’est le cas pour Dracula de Bram Stoker. C’est une structure idéale également pour un récit d’enquête, un roman policier.
- Une correspondance unilatérale, qui rejoint presque le genre du journal intime. Cela convient bien aux récits introspectifs et dramatiques. Il peut aussi s’agir d’un récit en lettres non envoyées ou trouvées. La personne qui écrit les lettres fait alors office de narrateur·rice.
- Un échange épistolaire entre deux personnes (le plus courant) voire plus (comme dans les Liaisons dangereuses de Laclos), ce qui permet un jeu de perspectives, et d’apporter du suspense.
Le choix de la forme influence non seulement le ton, mais aussi la structure et le rythme du roman.
2. Identifier les codes de la correspondance à l’époque choisie
De nos jours, nous nous envoyons beaucoup moins de lettres, c’est aussi pourquoi le roman épistolaire n’est plus aussi populaire qu’au XVIIIe siècle. Mais il peut se justifier dans le cadre d’un roman historique.
Cependant, il existe aussi des romans épistolaires contemporains, qui reprennent les codes d’aujourd’hui. Par exemple, pourquoi ne pas écrire un roman épistolaire sous forme d’échange d’emails ou de SMS ? On peut citer en exemple le roman L’Élixir d’amour d’Eric Emmanuel-Schmidt qui reproduit la correspondance par emails de deux ex-amoureux.
Dans tous les cas, veillez à ajuster la manière d’écrire, les formules de politesse et le vocabulaire à l’époque à laquelle la correspondance est écrite. En effet, une lettre manuscrite ne s’écrit pas comme un SMS ou un mail, et les codes sociaux varient selon les siècles.
3. Travailler la vraisemblance des lettres
Justement, les codes de la lettre (ou de l’email/SMS) sont utiles pour apporter du réalisme. N’oubliez pas donc d’ajouter les formules de politesse en début et fin de lettre, la date, éventuellement l’adresse, etc.
À propos de mise en forme : dans un roman classique qui contiendrait une lettre, on utiliserait l’italique et/ou le texte centré pour distinguer la lettre du reste du livre. Dans le cas d’un roman composé uniquement de lettres, il n’est pas utile d’utiliser l’italique ni de centrer le texte. Optez pour une mise en forme classique pour un roman, qui assurera un meilleur confort de lecture.
Le plus important : si le roman est composé d’un échange entre une ou plusieurs personnes, il est essentiel que chacune ait sa propre voix. Et ce, au même titre qu’un roman choral, autrement dit un roman qui alterne entre plusieurs points de vue de personnages.
Chaque personnage doit pouvoir se distinguer par son style propre : vocabulaire, tournures, niveaux de langue, tics d’écriture… Mais aussi par sa façon de voir le monde. Il doit y avoir en effet une cohérence psychologique entre la personne qui écrit et la manière dont elle s’exprime. C’est ainsi que l’on introduit du réalisme dans l’histoire. Et que les lecteur·rice·s peuvent réussir à comprendre leur personnalité au travers de leurs lettres.
Cet aspect est d’autant plus important n’y a pas de narrateur omniscient. Tout est donc filtré par la subjectivité des correspondants.
En réussissant à rendre vos lettres réalistes, votre roman épistolaire peut devenir un véritable page turner. David Lodge explique dans son ouvrage L’Art de la fiction :
Il est absolument impossible de distinguer une lettre fictive d’une lettre réelle. (…) Le réalisme pseudo-documentaire de la méthode épistolaire a donné aux premiers romanciers un pouvoir sans précédent sur leurs lecteurs, qui ressemble à l’envoûtement exercé sur les spectateurs d’aujourd’hui par certains feuilletons télévisés.
4. Penser à une progression dramatique dans le roman épistolaire
Écrire un roman épistolaire ne consiste pas à enchaîner des lettres dans lesquelles les personnages se racontent leur quotidien. Chaque courrier doit faire progresser l’intrigue ou approfondir les personnages. Un roman épistolaire est une histoire fragmentée. Et les lecteur·rice·s la reconstruisent à travers les lettres. Pensez donc à chaque missive comme à une pièce de puzzle. Pour qu’ils/elles aient du plaisir à le reconstituer, il ne doit pas y avoir de pièces superflues !
Pour cela, faites évoluer la relation entre les correspondant·e·s, installez un mystère, faites monter la tension. La lettre suivante doit toujours donner envie d’être lue — par le destinataire, et surtout par les lecteur·rice·s. La forme épistolaire est une contrainte, mais vous pouvez en jouer pour apporter du suspense.
Un échange de lettres induit souvent un temps d’attente, un retard ou une perte de lettres. Ou pourquoi pas, de la censure. Autant d’éléments dont vous pouvez vous servir ! Vous pouvez également jouer du « narrateur peu fiable ». En effet, l’histoire étant racontée par le prisme des personnages eux-mêmes, les lecteur·rice·s peuvent se demander : qui dit vrai ? Peut-on se fier à ce que l’on lit ?
En résumé, il faut toujours garder à l’esprit que derrière les lettres se dessine une histoire. Et celle-ci doit bien sûr avoir une progression : un début, un milieu, une fin. Le schéma narratif est respecté, même s’il est moins évident aux premiers abords que dans un roman classique. Il est possible d’adapter à une fiction épistolaire des structures narratives telles que le cercle narratif de Dan Harmon. Ou encore la structure en 3 actes. Ce sont en effet des structures qui sont idéales pour appuyer sur l’évolution intérieure d’un personnage.
5. S’organiser et planifier l’histoire
Puisque la structure d’un roman épistolaire est assez particulière, il est plus que jamais utile de planifier l’intrigue en amont de l’écriture.
Créer des fiches personnages vous sera indispensable pour bien développer la personnalité de vos protagonistes, qui transparaîtra dans leurs écrits.
Posez-vous la question : quel sera le fil conducteur entre les lettres ? Y a-t-il un mystère à élucider, une relation à bâtir entre les personnages ? Quel thème souhaitez-vous aborder dans l’histoire ? Notez les étapes clés de l’évolution des personnages à travers ces échanges de lettres.
Pour préparer votre roman épistolaire, vous pouvez créer un tableau pour retracer la correspondance : dates, émetteur, destinataire, contenu, objectif narratif. Une frise chronologique ou un calendrier peut également vous aider à garder de la cohérence dans les dates des lettres. Un logiciel d’écriture comme WriteControl vous aide pour garder une structure claire et organiser vos notes durant l’écriture.
À propos de structure : il est généralement inutile de structurer un roman épistolaire en chapitres. Chaque lettre, quelque soit sa longueur, peut être considérée comme un chapitre. C’est déjà une structure en soi ! En revanche, il est possible de découper le livre en plusieurs parties, composées de plusieurs lettres. Cela permet par exemple de marquer les « trois actes » si vous avez opté pour cette structure narrative, et de créer une attente chez les lecteur·rice·s à la fin d’une partie.
Par exemple, Les Liaisons dangereuses se découpent en quatre parties qui suivent l’évolution de l’intrigue et marquent des tournants majeurs dans la guerre psychologique entre les personnages. Chaque partie correspond à une phase de l’histoire, presque comme les actes d’une tragédie : exposition, nœud, crise, dénouement.
Et dans le cas d’une écriture à quatre mains ?
Si vous êtes plutôt un·e auteur·rice jardinier·ère, pourquoi ne pas profiter d’une fiction sous forme d’échanges de lettres entre deux personnages pour écrire à 4 mains ? C’est le format idéal : vous vous associez avec un·e collègue écrivain·e et chacun·e incarne un personnage.
Ainsi, vous vous assurez que chaque personnage ait son style, sa propre voix. Et l’organisation de l’écriture est très simple : vous écrivez chacun·e à tour de rôle une lettre en réponse à la précédente. Vous pouvez préparer ensemble l’intrigue à l’avance dans ses grandes lignes, ou au contraire vous laisser surprendre ! C’est ce qu’ont choisi de faire Anne-Laure Bondoux et Jean-Claude Mourlevat dans leur roman Et je danse, aussi. Les auteurs se sont glissés dans la peau de leurs personnages et l’histoire s’est construite au fur et à mesure des emails qu’ils se sont envoyés. L’écriture a été fluide et improvisée, même s’ils ont dû se concerter à la moitié du roman pour se mettre d’accord sur la suite et fin de l’histoire.
Écrire un roman épistolaire, c’est jouer avec les émotions, les non-dits, la voix intime des personnages. En soignant le réalisme et la cohérence de vos lettres ainsi que la tension narrative et la progression de l’histoire, vous offrirez à vos lecteur·rice·s une expérience littéraire à la fois immersive et singulière. Nous espérons que ces 5 étapes vous auront aidé·e à y voir plus clair avant de vous lancer dans cette aventure !
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