BoD et Panodyssey vous ont proposé cet été un concours d’écriture sur le thème « Renaissance » et il vous était possible de participer en écrivant une lettre, une nouvelle ou encore un poème. Parmi les nombreux textes, nous en avons sélectionné un par catégorie et vous les présentons ici !
Bravo à toutes les personnes ayant participé au concours pour leurs beaux textes. Sans plus attendre, voici les noms des gagnant·e·s ainsi que leur texte. Ils/elles remportent chacun·e une formule BoD Publication et la mise en avant de leur texte ici sur notre blog, ainsi que sur le site de Panodyssey.
Lauréat·e dans la catégorie « Lettre » :
Camila De Miranda pour Mon petit sac d’os – Dernière lettre
À toi, Marcos, mon petit sac d’os.
Cela fait longtemps que je n’ai pas pris la plume. Mais ne t’inquiète pas. Je ne t’ai jamais oublié.
Comment pourrais-je oublier celui que tu as été, et que tu es encore, dans nos vies, même après ta mort ?
Je me souviens encore. J’avais à peine douze ans quand tu es entré dans notre vie. J’étais une fillette toute maigre, et tu m’as donné ce surnom : sac d’os. Tu rigolais, moi je faisais mine de bouder. Des années plus tard, quand je t’ai vu allongé là, réduit à tes os dans un sac de la police scientifique, quelque chose en moi a ri en cachette. Comme si je voulais encore t’embêter une dernière fois. Mais chut, personne ne doit jamais le savoir. C’est notre secret, un jeu trop noir pour les autres. Dans ma tête, je t’ai dit : Alors, qui est le petit sac d’os maintenant ? Et j’ai entendu ta voix répondre, rieuse, comme toujours : Ce sera toujours toi, le petit sac d’os.
Tu étais mon beau-père, mais aussi mon allié silencieux. Tu t’es mis entre nous et la reine-soleil, ma mère. C’est toi qui as tout reçu de sa lumière brûlante. Nous, à l’ombre, avons survécu. Longtemps j’ai cru que c’était une lâcheté de ma part. J’ai fini par comprendre : c’était ton choix. Tu étais maître de ta vie, même dans la mort.
Je l’ai retrouvée, elle. Ma mère. Dans une ferme perdue au cœur de l’intérieur de l’État de São Paulo. Plus petite qu’autrefois, couverte de cicatrices comme une carte de défaites. Elle a souri quand elle m’a vue. Pas de haine, pas de remords. Juste le vide. J’aurais voulu ressentir la colère. Ou le soulagement. Mais je n’ai senti que la fatigue.
Ma sœur, Luisa, m’a demandé de ne pas la dénoncer. De laisser l’univers décider. J’ai accepté. Mais ma mère a quand même trouvé son chemin jusqu’à la prison. Ironie du sort : elle y est entrée d’abord pour des raisons bien moins graves que d’avoir pris une vie.
Et moi, j’ai traversé l’océan. J’écris maintenant d’une petite chambre à Paris. Cette ville qui paraissait intouchable est devenue le décor de ma renaissance. Ici, j’apprends à vivre autrement : aller à un rendez-vous médical en passant devant le Panthéon, entrer dans Notre-Dame avant une séance de cinéma, marcher dans les rues froides et sentir que chaque pas m’éloigne du passé. Parfois, je m’arrête au Louvre et je pense à Rosso Fiorentino, à François Clouet, à Primaticcio. Leurs œuvres, venues d’un autre temps, semblent encore porter l’écho d’un monde en train de se réinventer. C’est étrange comme leur renaissance s’entrelace avec la mienne, ici, dans ces rues où je tente de me reconstruire.
J’ai des nouveaux amis, plus jeunes, qui m’accueillent comme si j’étais des leurs. Avec eux, je redeviens l’adolescente que je n’ai jamais pu être. Je trébuche dans le français, je tends le doigt pour commander un café comme un enfant. Personne ne s’en moque. Ici, j’ai le droit de recommencer.
Parfois, en traversant les rues grises, je compare cette lumière pâle à celle du Brésil. Là-bas, tout brûlait trop vite. Ici, tout se rallume lentement. C’est une autre forme de survie.
Peut-être que je n’écrirai plus. L’adolescente en moi n’a pas envie d’être cette fille bizarre qui écrit à un sac d’os. Mais ne crois pas que je t’abandonne, Marcos. Même mort, tu m’accompagnes. Je t’emporte partout, toi, mes sœurs, le reste de la famille, et même elle, la reine-soleil. Vous n’êtes plus un fardeau. Vous êtes devenus des fragments de lumière. Les cendres d’où je renais.
Parce que survivre, c’est aussi renaître.
Adieu, Marcos.
Ou peut-être à bientôt, dans la mémoire où tu ris encore avec moi.
Lauréat·e dans la catégorie « Nouvelle » :
Pascal N. pour Parce que je n’étais plus seule…
Je m’appelle Hortense. Un prénom doux, presque noble.
Comme un parfum discret posé sur l’épaule d’une existence
Qu’on aurait voulu sans tache !
Petite, j’avais tout.
Une maison immense, des goûters au goût de vanille
Et de tendresse en apparence.
Des cahiers sans rature, des parents avec de beaux costumes
Et de faux sourires.
Mais derrière les voilages en dentelle, il y avait du vide, un gouffre feutré.
On ne me demandait pas qui j’étais, seulement de bien me tenir.
Alors j’ai appris à plaire, à sourire juste ce qu’il faut.
À taire mes questions, et surtout à m’effacer.
C’est dans ce silence que les premiers hommes sont entrés.
Le premier m’a appris à douter.
Il me disait que j’étais trop fragile, que je devais grandir un peu.
Le second m’a enfermée dans son regard
Comme dans une cage dorée. Je ne voyais que lui.
Le troisième m’a fait croire que je n’étais rien sans lui.
Et j’ai fini par le croire.
Mais le dernier…
Le dernier a fait de moi une marchandise.
Lentement. Froidement, maquillée de fausse liberté.
Un appartement « chic » offert sans loyer.
Des dîners, tous sauf banals
Des « amis influents » qui devenaient des clients.
Puis les menaces, puis les caméras
Puis… les soirs qu’on ne veut pas se rappeler.
Un jour, il m’a emmenée dans un chalet.
Ils étaient six, ou huit. Peut-être plus…
Je ne veux pas me souvenir.
Je me rappelle juste cette lampe nue au plafond.
Puis le noir du bandeau sur les yeux, ce bruit des ceintures
Et ce goût âcre et gluant dans ma gorge.
Je me rappelle avoir pensé :
« Si je meurs ici, personne ne saura.
Et peut-être que c’est mieux comme ça. »
Mais je ne suis pas morte.
Je me suis réveillée deux jours plus tard, nue, couverte de bleus
Avec un mot griffonné :
« Tu me dois ça. »
Alors j’ai fui, sans sac, sans papier, sans idée.
Je me suis volée à moi-même.
Je marchais depuis des heures, hagarde, quand c’est arrivé.
Dans un bruit de râle sourd, un choc, et ce SUV noir
Que je ne connaissais que trop bien, poursuivant sa route
Loin déjà.
Ça aurait pu être moi ? Ou dû peut-être…
Mais, non, ce n’était pas le cas.
Sur l’asphalte humide, une masse sombre gisait.
Un chien. Un sale chien, gris, maigre, un bout de vie errante
Heurté de plein fouet.
J’ai crié.
Hésitante, j’ai approché.
Le seul être plus paumé que moi venait d’être écrasé.
Comme on écrase un gobelet vidé.
Mais… Il respirait encore.
Ses yeux me fixaient. Il avait mal, mais pas peur.
Dans ce regard, il n’y avait aucune lamentation.
Juste une question muette : Et maintenant ?
Je l’ai porté. Il ne pesait presque rien.
Je ne savais pas où aller, alors je suis restée là
Sur le bord de la route, toute la nuit, à le tenir contre moi.
Il a posé sa tête sur mon bras.
Et j’ai pleuré pour la première fois depuis des années.
—
Je l’ai appelé Chance. Parce que c’est ce qu’il était.
Un putain de miracle.
Les jours suivants, j’ai volé pour lui acheter de quoi le soigner.
J’ai appris à panser ses plaies.
Et, sans le savoir, je soignais les miennes.
Il marchait bancal, moi aussi.
Il avait peur des hommes, moi aussi.
Mais il avançait. Il voulait vivre.
Et j’ai voulu vivre avec lui.
—
On a quitté la ville.
On a pris les petites routes, les trains de nuit
Les coins paumés où personne ne te demande d’où tu viens.
Je lui parlais, il m’écoutait.
Je lui racontais tout ce que je n’avais jamais dit.
Mes cauchemars, mes cicatrices, mes hontes.
Il m’écoutait sans détourner le regard.
Et dans ce silence, j’ai compris que je n’étais plus seule.
—
Puis, un jour, j’ai pris la parole.
Dans un petit centre social, dans un village du Sud
Une animatrice m’a demandé
Si je voulais dire quelque chose aux adolescentes.
J’ai dit oui. Et j’ai raconté.
Pas les détails, pas l’horreur.
Mais la renaissance.
Je leur ai parlé de ce jour où j’ai rencontré Chance.
Et comment c’est lui qui m’a donné envie de me relever.
Redonné envie d’être, de renaître.
Je leur ai dit que la vie peut basculer mille fois.
Mais qu’il suffit d’un rien,
D’une petite chose minuscule, pour que tout change.
Un regard. Un animal. Un mot. Une main.
À la fin, une jeune fille m’a prise dans ses bras.
Elle pleurait. Elle m’a dit :
« Tu m’as montré quelque chose. »
Et là, j’ai su.
Ma douleur n’était pas vaine.
Elle servait à rallumer des lumières.
—
Aujourd’hui, je vis nulle part et partout, avec Chance.
Il est vieux maintenant. Il boite toujours, moi aussi parfois.
Mais chaque jour, on avance. On témoigne. On vit.
Loin des chaînes. Loin des rôles.
Je ne cherche plus à plaire, je cherche à dire.
À aimer librement, à vivre autrement.
Parce que rien n’est figé.
Parce que le destin, ce n’est pas ce qui nous arrive,
Mais ce qu’on décide d’en faire.
Parce que, parfois, il suffit d’un chien errant
Et d’un peu de courage pour oser cette renaissance.
Embrasser enfin une autre vie.
Lauréat·e dans la catégorie « Poème » :
Fabienne Baynat pour Une anti Saint-Valentin ?
Encore cette année, je n’aurai pas de fleurs,
ni de message doux, qui attendrit mon cœur.
Je ne pourrai goûter, un diner, un poème,
qui me ferait rêver, à des petits je t’aime.
C’est une maison vide et emplie de silence,
qui m’attend chaque instant, teste mon endurance.
Et c’est un lit sans âme que je rejoins le soir,
sans désir ni caresse, lieu de mon désespoir.
Alors je pense à ceux, qui désirent une danse,
ne cessent de nourrir, une telle espérance.
Alors je pense à ceux, qui convoquent la chance,
et laissent le destin, leur offrir carte blanche.
Puisque passe la vie, et se comptent les jours,
les rides du visage et le manque d’amour.
Puisque passe le temps, défilent les années,
devrais-je renoncer, ou pire me résigner ?
Mais qu’importe mon âge, qui règne en tyran,
car tout au fond de moi, je reste comme avant.
Dans le creux de mon âme, la flamme encore brûle,
l’espérance sommeille, retient le crépuscule.
Mais tout au fond de moi, je crains les alentours,
je voudrai ignorer, tous ces élans d’amour,
et ces exhibitions, cette fête maudite,
qui souligne un peu plus, mes cruelles suppliques.
Dans mes rêves secrets, l’éruption volcanique,
de mes passions d’antan, mes ébats impudiques.
Le volcan n’est pas mort, il est juste assoupi,
et il guette son heure, vaguement attendri.
Il suffit d’une braise, ou d’un inattendu,
la lave jaillira, vers le grand inconnu.
Ma porte reste ouverte, mes fenêtres éclairées,
une nouvelle histoire, peut sans doute briller.
Et c’est là la sagesse, de toujours s’émouvoir,
de cultiver ses dons et enrichir l’espoir,
et ne chercher ailleurs, les cadeaux, les trésors,
tapis au fond de nous, comme des mines d’or.
La vie est surprenante, et construite d’énigmes,
et pourquoi ne pourrais-je, troquer mon paradigme ?
Je me prends à rêver, d’une onde tectonique,
qui me dessinerait, un futur aurifique.
L’âge ne change rien, quand le tempérament,
depuis la tendre enfance, est sans cesse vibrant.
Une terre féconde, même si elle a brûlé,
reste encore fertile, et tout peut repousser.
Et c’est là la sagesse, de toujours s’émouvoir,
de cultiver ses dons et enrichir l’espoir.
Et dans le creux du soir, je jongle avec les mots,
Et j’appelle la douceur, trace l’eldorado.
Mentions spéciales
Ils/elles ne sont pas le premier choix, mais méritent nos félicitations pour leurs productions.
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