Le jour d’après (5/5)

Suite et fin de vos textes de participation au concours d'écriture sur le thème du déconfinement du 11 mai 2020. Cette journée si spéciale a-t-elle…

18.05.2020 · Caroline Duchesnes News

Je m’étais préparé, lavé, parfumé, récuré, désinfecté et, bien sûr, frotté interminablement les mains, avec un mélange de gel hydroalcoolique et de savon de Marseille.

J’avais éternué dans mon coude, puis jeté mon t-shirt dans le tambour de la machine avec un peu d’eau de javel.

J’avais fait un petit tas d’attestations de déplacement dérogatoires que j’avais brûlé dans la cheminée en chantant le chant des partisans !

J’avais pris trois comprimés d’hydroxychloroquine avec un verre d’eau minérale ; au cas où…

Puis j’étais descendu dans la rue, ganté et masqué, en évitant de croiser de trop près les passants, qui, ce jour-là déambulaient nonchalamment, sans cet air terrifié de conspirateurs, qu’ils avaient d’habitude.

Je brûlais de la voir ! 10 semaines de confinement, de privation, d’abstinence ! Je me remémorais le bout de ses doigts me caressant la nuque, puis la joue. J’entendais le bruit de ses pas sur le parquet ciré. Je revoyais son chemisier ouvert sur la poitrine, je sentais son souffle sur ma joue…

Je hâtai le pas, peu attentif aux groupes de piétons qui discutaient sur la chaussée, en riant de bon cœur.

Je courus, bousculant presque un gardien de la paix débonnaire. Au 18, j’escaladai le petit escalier et entrai en trombe dans l’immeuble.

Elle était là, et m’attendait, les yeux pétillants sous son masque, la blouse boutonnée sur son corps magnifique ; aussi belle que je l’avais laissée !

— Assieds-toi, me dit-elle en me passant une serviette au cou, ce sera quoi pour aujourd’hui ?

— Assez court et dégagé sur les oreilles, lui répondis-je ; fais-moi la coupe du jour d’après !

 

Yves Lafont


J’ai vu des fleurs mourir et d’autres en devenir.

J’ai vu la pluie laver la ville.

J’ai vu des visages affairés, la tête baissée.

J’ai vu des parents inquiets et des enfants enjoués.

J’ai vu des collégiens excités et masqués.

J’ai vu des mamies faire leur tai-chi.

J’ai vu les pigeons retrouver du pain de mie.

J’ai vu des joggers maintenant habitués,

pas rythmés et corde à sauter.

J’ai vu les distances et la méfiance

J’ai vu l’insouciance et l’inconscience

J’ai entendu les parcs chanter avec les cris des bébés

J’ai entendu les klaxons longtemps absents

J’ai senti le parfum fleuri et les pots d’échappements d’antan

J’ai n’ai plus vu les étoiles dans le ciel de Paris

J’ai encore vu des sans-abris nourris par la Mairie.

J’ai perdu le temps qui avait le temps

J’ai perdu le confinement

J’ai retrouvé le présent, encore et toujours changeant.

 

Mélusine Martin


La liberté retrouvée

 

Ce 11 mai sonne comme une victoire durement gagnée où la devise tricolore peut enfin redorer son blason : « liberté, égalité, fraternité ». Double célébration, cette date correspond au mois anniversaire de l’héroïne de mon roman de cœur, Italienne Sang pour Sang. Abondance a vu le jour en 1968, pendant les événements qui semaient le trouble dans la capitale française agitée où s’affrontaient les foules : les pavés transformés en armes par les étudiants révoltés volaient contre les CRS. La vie criait avec violence ses droits.

La libération de mai 2020 a un arrière-goût amer, mêlé de crainte et de tristesse, mais elle comporte cette même volonté de clamer son envie de vivre.

Alors, oui, je fêterai l’anniversaire d’Abondance et la fin du confinement en dépassant l’unique heure journalière autorisée jusqu’alors. Fière, je saluerai Paris, ses immeubles haussmanniens, ses toits typiques de zinc que j’ai pu observer du balcon de mon appartement en étage élevé, jusqu’à les décortiquer des yeux. Ces toits qui ont supporté mes angoisses de confinée, mais aussi mes rêves et mes réflexions. Oui, je les considérerai autrement, depuis les trottoirs animés de nouveau, peuplés par les badauds, les cheveux négligés, la barbe hirsute, les teints pâles qui trahissent l’enfermement auquel l’ennemi invisible nous a contraints. Je me mêlerai à leurs regards qui, comme moi, auront retrouvé la lumière de leurs yeux d’enfants émerveillés à la découverte monde.

Je m’arrêterai et je fermerai les paupières, là, en plein Paris, entourée du brouhaha familier. Je m’enfuirai dans mes rêveries vers ma chère Naples, à laquelle le confinement m’a brutalement arrachée. Je déambulerai dans la cité parthénopéenne, je me perdrai au détour des ruelles, je flânerai sur le bord de mer en admirant sa majesté le Vésuve, je me laisserai bercer par le son du reflux des vagues. Je m’enivrerai de la chaleur de la langue napolitaine.

Je rouvrirai les yeux, je serai heureuse.

 

Sophie Floreani


Je me réveille en sursaut. Cinq heures trente ! Un peu tôt pour se lever, ou même pour réveiller Éric qui dort profondément. Pourtant, j’ai envie de le secouer car nous sommes aujourd’hui le 11 mai 2020 ! Le jour d’après, comme disent les journalistes ! Nous allons enfin pouvoir rentrer à la maison !

Je repense à notre voyage qui avait été décidé, peaufiné, millimétré pendant des mois : six semaines pour faire le tour de France. C’était notre cadeau de départ en retraite ! En tout, nous avons fait deux étapes : la première dans la vallée du Rhône, la seconde et dernière ici, dans une jolie petite station balnéaire au bord de la Méditerranée. Nous avons à peine eu le temps d’aller voir un charmant marché provençal et d’y acheter de l’huile d’olive. Et puis… crac ! Confinement général ! Presque la totalité de notre budget vacances a été englouti par ce séjour prolongé. Aujourd’hui, après cinquante-cinq jours, nous allons enfin pouvoir sortir sans contrainte de distance, ni de temps.

Nous avons décidé de nous rendre à un marché aux poissons situé à une vingtaine de kilomètres. Pourquoi ? Parce que le restaurateur chez qui nous avons dégusté un excellent poisson grillé la veille du confinement, nous en a parlé avec autant d’amour que de poésie. Je ne sais pas si c’est son accent ensoleillé ou l’évocation de Francine qui propose des poissons aux noms étranges : loup, baudroie, fielas, rascasse ou galinette… mais aujourd’hui, j’ai une envie irrésistible de voir ce village de pêcheurs.

Enfin, nous voilà partis. Nous savourons tous les deux le simple plaisir de pouvoir être assis côte à côte dans la même voiture pendant vingt petits kilomètres en toute liberté. Sans rien demander à personne. Nous glissons dans le monde extérieur, bien à l’abri grâce à notre bulle sur quatre roues. Mais à peine arrivés à destination, nous sommes replongés dans le réel : masques, gel hydroalcoolique, gestes barrières et cette légère angoisse de quitter son périmètre de sécurité.

Le marché est installé sur les quais. Pas de doute, les poissons sortent vraiment des filets. Je regarde les gabians, connus ailleurs sous le nom de mouettes, tournoyer dans les airs avec élégance à la recherche d’un morceau de poisson. Un peu de légèreté et d’espoir dans cette période difficile.

J’en parlerai ce soir à mes enfants lors de notre vidéo-conférence quotidienne. Comme ils habitent très loin, j’ignore quand je pourrai les revoir. Mais je reste confiante derrière mon masque lavable en tissu bariolé. Demain sera un autre jour…

 

Fanny Le Rouhet


11 mai 2020

Le réveil sonne. Tonalité métallique.

Je ne mesure plus le fil du temps depuis un moment mais je sais quel jour nous sommes.

Mon cerveau se connecte immédiatement à la réalité et une joie impatiente monte en moi, comme si j’avais de nouveau 5 ans un 25 décembre !

J’ai mis un réveil pour conjurer le sort du « jour sans fin » en changeant mes routines. Je sais déjà que le souvenir de cette journée restera vivace dans ma mémoire.

Je commence par un petit plaisir : un « snooze » pour savourer le temps ! Ce temps-là, je le déguste comme un supplément chantilly offert par la maison. Je ne le subis pas. Je l’ai choisi.

11 mai 2020 : retour à une semi-liberté après un enfermement contraint. Journée tant fantasmée, tant rêvée, tant vécue dans mon cinéma intérieur. Cet idéal de liberté d’abord vaporeux, je l’ai pétri, malaxé jusqu’à le transformer en un programme millimétré qui cadence cette journée si singulière.

Ce programme, je l’ai travaillé, amélioré, encore et encore, jusqu’à avoir le sentiment de contrôler le cours du temps. Tout est déjà prévu pour aujourd’hui, je sais où, avec qui, combien de temps. J’ai même regardé la météo.

Les lignes de cet infaillible programme défilent dans ma tête. Une fois, deux fois, encore une fois… Je sens ma joie impulsive s’échapper subitement sous le poids de mes prévisions méthodiques.

Ça sonne faux.

Comment ne l’ai-je pas perçu plus tôt ?

Mon programme est certes réglé comme du papier à musique mais la musique qui en émane est sans mélodie, sans soubresauts, sans rythme. Monotone, fade, austère.

Évidemment, c’est triste de tout prévoir pour se protéger hermétiquement de la vie qui, elle, fait des irruptions spontanées.

Je veux que ma joie impétueuse revienne. J’autorise mon idéal originel de liberté à l’état brut à reprendre le dessus. La liberté fait fi de tout programme, elle s’improvise.

Je ferme les yeux. J’improvise.  J’essaie. Ça n’est pas dans mes habitudes mais c’est ce dont j’ai besoin, maintenant. Mon enthousiasme m’envahit de nouveau et, avec lui, avec lui un méli-mélo intempestif d’images, d’envies.

Le réveil sonne pour la seconde fois. En cinq minutes, mes certitudes minutieusement ciselées dans la pierre ont subi une érosion instantanée sous le coup d’une joie indomptable.

Je rigole.

Je crois que j’ai changé, un peu.

Ça non plus, je ne l’ai pas prévu.

11 mai 2020. Je vais sortir, quitter mon cocon-geôle. Aller là où mes pas me guideront, sans programme, sans partition.

Juste moi.

Enfin, la version de moi qui accepte d’improviser, pour cette journée.

 

Laura Joansen


Je suis attablée dans la cuisine devant mon grand bol du matin, le soleil de la campagne réchauffe déjà la pièce, c’est le printemps… mais cette année rien n’est pareil.

Il fait beau ce 11 mai. Les bruits de la ville sont de retour. Enfin libre ! Paris avec ses cris, ses lumières et sa divine puanteur.

La chaleur me réconforte et encore ébouriffée, je sors de mon cauchemar : terrifiantes ces infos, c’est de la manip me dis-je en léchouillant ma cuillère.

Excité et impatient, je m’éjecte de mon 9 mètres carrés en cul de sac.

Un nuage assombrit la cuisine, le froid revient.

Tout le monde est masqué. Les gens s’écartent quand ils se croisent. On se parle de loin, on ne se touche pas. Des IA-drones matraquent les règles de sécurité sanitaires. Un parfum de paranoïa flotte dans l’air.

Je me sens engloutie dans ce déluge d’horreurs… désespérée, je dégringole ; au fin fond de ma peur, je vois le piège se refermer sur moi : NON !

Pourquoi je me sens rassuré ? Je trouve ça normal quand je vois une femme sans masque se faire embarquer par la milice médicale, des CRS en blanc.

« On nous avait tellement raconté que ça allait être pire… ben voilà ! on y est ! l’ère du COVID 1984. »

La cuisine est maintenant toute sombre, glaciale, mais heureusement le soleil réapparaît !

Soudain, tel un rapace, un drone tombe du ciel et viens se mettre en vol stationnaire devant moi, le haut-parleur se met à hurler : « ATTESTATION, MERCI ! »

Je pense avec espoir, la santé et le bien-être de toutes les personnes sont des priorités, et la terre, les hommes et les animaux doivent vivre.

Paniqué, je reste figé. « Je l’ai oubliée excusez-moi », je bredouille à la machine.

La cuisine resplendit de nouveau de mille éclats, une bouffée de chaleur s’engouffre.

Soudain, le drone tire un dard qui se plante dans mon cou.

Alors, par quoi commencer ? Et je lance un appel, plein d’espoir, pour rassembler toutes les compétences de chacun pour s’y mettre !

Je tombe paralysé.

« Par ordonnance, vous êtes accusé de déviance sociale, soumettez-vous, la milice arrive. »

 

Sophie Rault et Jean-Pierre Lesault

Commentaires

  • Sur cette page, ma préférence va pour le premier, celui de Yves Lafont, c’est bien trouvé et drôle !
    (spoil : On se dit : tiens, il va y avoir une chute, finalement ce sera celle des cheveux… )

    Sinon, les autres m’ont plu aussi. Les deux derniers un peu plus.
    (Même si l’on devine que ce n’est qu’une imagination depuis sa cuisine, c’est un peu pessimiste le dernier, aha…non ?)

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