Le jour d’après (2/5)

Nous continuons aujourd'hui à partager vos participations à notre mini-concours d'écriture. Imaginer le jour du déconfinement en a inspiré plus d'un... Voici 15 nouveaux textes…

12.05.2020 · Caroline Duchesnes News

On y était enfin. Chaque matin, William avait fait des bâtons dans son carnet, à la manière d’un prisonnier. Aujourd’hui, terminés les bâtons. À moins, bien sûr, que cela ne recommence, mais William ne voulait pas penser à ça.

11 mai. Cette date sonne comme le début d’une phrase de jeunes : on se met… on se met quoi comme musique ? on se met quel film ? on se met la tête à l’envers ?

La tête dehors, ce serait déjà bien. Attention, pas trop loin tout de même.

William passa la tête par la fenêtre qui donnait sur l’artère principale de sa ville.

Le ciel était bleu gris. Parfois le temps va de pair avec le moral de la population, parfois cela ne veut rien dire du tout. En l’occurrence, là, il reflétait un optimisme précaire.

Il aperçut des gens se promener avec des masques, comme si un truc radioactif traînait dans l’air.

Qui sait ? Cette saleté de virus, encore plus sournois qu’un cancer, si ça se trouve… songea William.

William, un peu moins de trente ans, n’avait pas ressenti le confinement comme un fardeau trop lourd à porter. Une chose lui avait sapé le moral, fin mars : l’annulation du concert de Marrons Eden, prévu de longue date. Partie remise, ils reviendraient bien jouer une autre fois, peut-être en octobre.

Le plus dur, c’était pour ceux qui avaient des mômes ou pour les personnes âgées. Des mômes, il n’en avait pas. Ils avaient bien essayé avec Célya depuis quelques mois, mais tel un report de concert, ça pouvait attendre.

Vivre confiné dans un petit studio n’avait pas été tous les jours une sinécure. Heureusement, les voisins avaient été sympas. Il fallait quand même se méfier un petit peu de certains.

La dame du dessus, négationniste, ne croyait pas que le virus puisse vraiment exister. « Si c’est vrai, c’est pas la peste ni le choléra », lui avait-elle dit un jour.

Celui d’à côté, un prof en psychologie de quarante ans qui vivait avec une femme de quinze ans de moins, avait révélé son secret : « La maladie c’est avant tout dans la tête ! »

Par contre, celui d’en bas, un jeune de l’âge de William, avait malheureusement perdu son grand-père à cause du coronavirus.

William n’avait pas envie de tomber malade. Rien qu’une petite grippe le mettait dans tous ses états. Il respectait donc scrupuleusement les règles.

Depuis un mois, ils avaient même évité de se voir avec Célya, alors qu’elle n’habitait qu’à dix kilomètres… Puisqu’elle avait préféré se confiner dans la maison de ses parents, ils faisaient comme les couples longue distance, se contentant de la visio, des appels et des mails.

Aujourd’hui ils verraient enfin le bout de tout ça.

Il ouvrit la porte de son garage, puis vérifia la pression des pneus en appuyant fortement dessus. Le vélo n’avait pas roulé depuis des mois mais il se tenait là, majestueux, prêt à être enfourché.

Il chercha le dernier numéro appelé, celui de Célya.

Elle l’attendait pour aller se balader. En prime, elle aurait une surprise. Testée positive. Pas le virus, mais peut-être que cela deviendrait un petit monstre dans huit mois.

Ce jour avait comme une saveur de nouveau départ.

Adrien Grossrieder


Confinée, à l’abri de la peur du virus,

J’avais oublié les règles de la vie :

Plus de promiscuité dans les trains, dans les bus

Et les métros bondés relégués dans l’oubli…

 

Je me suis enfermée en un présent tranquille

Mais le futur est là : le premier jour d’après

Me fait trembler un peu et j’ai peur de la ville

Pour pouvoir négocier ce lundi 11 mai…

 

Qui sont-ils, tous ces gens qui vont croiser ma route ?

Sont-ils immunisés ? Sont-ils des porteurs sains ?

Les discours entendus ne me laissent aucun doute :

Qui sait si nos efforts n’auront pas été vains ?

 

Le monde va changer mais dans quelle mesure ?

L’intérêt financier jamais ne cédera,

Continuant de nier l’humain et la nature,

Ô je voudrais, pourtant, pouvoir tout mettre à plat !

 

Prendre un nouveau départ, fédérer tout le monde

Autour de l’unité, du respect, de l’amour.

Au cœur de l’utopie, mon âme vagabonde

Mais je crains bien pourtant que l’homme n’y soit sourd !

 

Nous sommes trop nombreux et bien trop différents.

Chacun voit son midi suivant l’heure à sa porte.

Le seul maître, ici-bas, est bien le dieu Argent

Et nul n’est assez fort pour vaincre ses cohortes…

 

Onze mai, premier jour du reste de ma vie !

Je l’attends sans passion mais avec mes espoirs.

Comme j’aimerais bien partager mes envies

D’une belle planète et d’une belle histoire !

 

Patricia Bonnaud


Enfin demain, disent certains, nombreux peut-être, trop sans doute, puisque si incertain, qu’il en gâche la jouissance sublime. Pourtant d’imprévu on se saurait se lamenter, lui qui attise la curiosité, qui alimente la surprise. Mais de cet imprévu-là, à devenir probable, il en devient douteux, si peu désirable qu’il appelle à la retenue, au pas tous ensemble tant attendu. En tous les cas pas de celui-là qui, libéré de ses recommandations de mise à distance, pourrait rassembler les magnifiques artisans du bien commun, de sa survie, de sa promesse de lendemains débarrassés des parasites profiteurs, pour construire du désirable et d’abord pour ceux qui en sont tellement dépourvus.

Qu’en faire donc, de ce premier jour d’après ? Se poser la question c’est déjà l’avoir privé de spontanéité, je serais tenté de ne pas me hâter, ne pas me ruer, dans quoi d’ailleurs de si extraordinaire que je n’aurais pu admirer, à distance certes, mais réellement, pendant cette période inédite, je veux dire cet engagement sans borne et son apparition au grand jour de ceux qui « ne sont rien », avait-il dit ! De quoi confirmer, une fois encore, qu’en nous, les gens, réside l’espoir.

Aussi je ne suis pas pressé, je vais observer et goûter un peu plus de temps dehors, sans doute à pied, ou sur mon vélo pour aller au bois profiter des derniers moments d’épanouissement de la nature, sans le bruit et la fureur qui ne vont pas tarder à revenir, et qu’il est urgent de retenir.

 

Jean-Pierre Lepoix


Le sable

 

— Tu as vu ? Il monte vraiment haut !

— Fais gaffe de pas tomber, quand même. T’es au bord.

— Oui oui.

Le jeune homme fit un pas de trop, il perdit l’équilibre. Un paquet de sable se détacha du sommet de la dune et dévala la pente raide, suivi de près par le jeune homme.

— Et merde ! Maintenant il s’est barré. Game over.

Le jeune homme continuait de glisser dans la pente. Il tenta de se relever mais culbuta d’un coup cul par-dessus tête. Enfin, il arriva au pied de la dune. Son vieux pote, la quarantaine, l’observait du haut de la dune. Il lui lança ces mots acerbes :

— Le cerf-volant s’est envolé dans le ciel, et toi tu t’es enfoncé dans le sable. Lui il est monté, toi tu es descendu. Lui il est léger, toi tu es lourd. Méga lourd.

— Oh ! J’ai du sable partout.

— Remonte vite, s’il y avait une patrouille.

— N’importe quoi !

— Remonte j’te dis.

Le jeune homme grimpa avec peine la pente sableuse. Il essayait d’onduler comme un lézard, pour avoir le maximum d’adhérence. Parvenu au sommet, son compagnon lui donna la main et le hissa sans ménagement.

— Tu vois, il est là-bas.

— Il est monté vraiment haut. Mais pas assez.

— Le vent vient de la terre aujourd’hui. Tu peux quand même lui dire adieu, à ton cerf-volant.

Les deux hommes regardèrent le cerf-volant et, plus bas, comme un disque au ras de l’horizon, la petite île.

— Elle n’aura jamais mon cadeau, soupira l’adolescent.

— Envoyer une culotte à sa copine, qui vit sur l’île, par moyen de cerf-volant : où t’es allé imaginer ça ?

— Je sais pas. C’était une idée, c’est tout. J’avais calculé la voilure du cerf-volant en fonction du poids du paquet contenant la culotte. En théorie, si j’avais lâché le cerf-volant à la bonne hauteur, il aurait dû atterrir sur l’île. Maintenant, tu vois, il descend. C’est trop tôt, il va tomber dans la mer.

— Ouais, dit l’autre. L’île est toujours interdite d’accès ?

— Jusqu’au 1er juin. Elle me manque fort.

— Viens, il est 19 heures. Il faut rentrer.

Les deux hommes marchèrent sur le petit chemin du littoral pour rejoindre le village. Là, une patrouille de police les arrêta.

— Monsieur, vous avez du sable dans vos vêtements. L’accès à la plage est interdit. Qu’y faisiez-vous ???

 

Benoît Sorel


MON POÈME… DE DÉCONFINEMENT

(poème dédié à mon docteur traitant)

 

Je m’en irai, les mains vers mes proches levées,

En ce beau mois de mai, de déconfinement.

J’aimerais peindre en vert chaque département

Pour que chaque Français goûte aux joies retrouvées.

 

Finies l’attestation, les raisons motivées !

Levons l’ancre en ce jour de notre bâtiment

Pour rejoindre un ami, pour revoir sa maman.

Cap sur le réconfort des âmes éprouvées !

 

Tout en se méfiant de ce maudit virus,

Sans dépasser vingt lieues, sans crainte du blocus,

Débarquons sans fusil sur les sentiers de France !

 

Applaudissons encor ceux qui nous font honneur,

Ce personnel soignant d’où naît la délivrance.

Que leur futur soit riche en moments de bonheur !

 

André Marras


11 mai 2020.

 

Cela fait environ trois semaines que j’imagine cette journée. Ce « grand jour », comme tout un chacun s’emploie à le nommer. Trois semaines que je tremble devant cette échéance. Trois semaines au cours desquelles la mélancolie était ma meilleure amie.

 

Et maintenant, voilà qu’il nous faut ouvrir la porte et…

Affronter la foule disparue des rues, partager les trottoirs et les ruelles si calmes lors de mon running quotidien.

Faire face aux bousculades des magasins bondés, sans aucune marque de bienveillance, comme « avant ».

Me poser mille et une questions avant d’enlacer mes proches et de les embrasser parce qu’ils m’auront manqué.

Éviter tout geste amical, toute accolade, avec des amis, de peur de représailles, de regards inquisiteurs, et dénonciateurs d’infamie.

Et surtout devoir tout abandonner, reprendre mes mauvaises habitudes.

Abandonner ce quotidien qui me convenait, cette liberté que je m’étais choisie et qui me correspondait.

 

Parce que pendant deux mois, j’ai pu respirer. J’ai pu vivre au ralenti, aimer mes enfants, mon mari. J’ai pu profiter d’eux, les dorloter, m’en occuper, les voir rire, pleurer, jouer, crier. J’ai même pu leur enseigner comme jamais je ne l’aurai fait, et comme jamais je ne le ferai, car ce n’est pas ma vocation. J’ai pu être là pour eux, simplement. Et surtout, j’ai assisté à une chose extraordinaire : les voir grandir, réagir comme de vrais êtres HUMAINS. Avec spontanéité, compréhension, au travers de l’écoute et de dialogues. Avec tout ce que veut nous vendre la société actuelle de bien-être et de zénitude. Ils comprennent bien mieux que nous. Ils sont intelligents. Je ne les ai jamais entendus se plaindre d’être confinés. Jamais. Ils m’ont sans doute appris bien plus que je ne le ferai jamais pour eux. Et je ne pensais pas les aimer autant tous les trois.

 

Pour l’heure, je dois appuyer sur cette poignée.

Ma fille me regarde, les yeux brillants de retrouver sa maîtresse.

Le grand reste en retrait, le regard au sol… Il lui faut encore attendre quelque temps.

Moi, je suis déchirée.

 

Mais je dois avancer. Pour eux. Car ils ont largement mérité de retrouver leur vie, leurs amis, leurs histoires, leurs familles.

Fini la punition.

Reset.

 

Clora Fontaine


Ce matin-là, je me réveillerai tôt pour entamer en beauté cette journée tant attendue depuis quelques mois. Le gazouillis des oiseaux, le battement de leurs ailes, que j’entends tous les jours, auront un son nouveau à mes oreilles. Ils sonneront comme une délivrance d’un long confinement subi. Je me hâterai de me préparer pour rendre visite à mes proches même si je dois parcourir des kilomètres entiers pour enfin les serrer dans mes bras.

Rien que d’y penser, je suis à fleur de peau et mes membres tremblent sans discontinuer tant la sensation est intense. Je me ferai belle pour faire honneur à mon mari mais également pour la satisfaction personnelle de ne pas avoir baissé les bras pendant le confinement. Mes parents ont mérité une fille courageuse, débordante d’énergie et je ne les décevrai pas. J’ai toujours été positive et je souhaite qu’ils retrouveront cette joie de vivre qui m’a toujours animée.

Avant de les rejoindre, je m’arrêterai chez un fleuriste pour trouver les fleurs qui symboliseront ce moment inoubliable à immortaliser. Je me vois déjà sortir de notre voiture, aux bras de mon mari, le sourire aux lèvres, sous un ciel bleu azur dénué de nuage et marchant vers l’allée boisée qui conduit à leur porte entrouverte devant laquelle un parterre de roses multicolores jonchent le sol pour nous souhaiter la bienvenue après une si longue absence. Une douce musique que je fredonnais souvent m’arrivera aux oreilles et une bonne odeur de cuisine envahira nos narines. Notre joie emplira nos poumons et les mots n’arriveront sans doute pas à sortir tellement l’émotion nous submergera. Nous éclaterons de rire à cause de l’oubli des cadeaux et des fleurs dans la voiture et je vois parfaitement la joie peinte sur leurs visages ; lorsque nos yeux se seront croisés. Nous nous embrasserons joyeusement et commencerons à plaisanter sur des sujets anodins, avant que nous nous attablions…

Mais tout ceci est encore dans les nimbes de ma pensée et je frémis que, hélas, cela ne se réalise pas. Est-ce que « le jour d’après » sera, à l’image des jours d’autrefois, teinté de nostalgie et de regrets ?

Vero Ryckelynck


Demain, oui, bientôt demain…

Ce premier jour, allons-nous le savourer, apprécier cette liberté dont nous avons pensé être privés ?

Dans nos mains, ce premier jour de notre avenir, mais serons-nous capables d’en avoir la mémoire, de transmettre cette nouvelle sagesse en comprenant à présent ce que voulait dire hier, cette phrase : « Nos pas dans ceux de nos aïeux » ?

Vivre sur des acquis, rien n’est jamais acquis.

Notre enjeu : ne pas reprendre où nous nous sommes arrêtés, ne plus refaire les mêmes erreurs égoïstes.

Hypocrisie d’un monde qui ne regarde plus son reflet dans le miroir, facilité du peuple qui se laisse infantiliser, où le mensonge et l’incompétence sont glorifiés.

Aurions-nous compris que seuls, nous ne sommes pas, seuls nous ne pouvons rien, qu’ensemble tout est possible. L’important n’est plus de posséder, l’important n’est plus de paraître, tout cela c’était avant, l’important c’est notre chemin de vie, avec ses joies, ses peines et puis regarder l’autre, celui qui était invisible à nos yeux.

Pendant ces semaines de confinement, les avons-nous enfin ouverts sur cet autre, lui avions-nous déjà tendu la main, comme il l’a fait pour nous ?

Oui, peut-être, ou pas, en tout cas, il l’a fait pour nous, pour vous. Pourquoi, avec ou sans cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, ne pas changer nos comportements à tous, ne plus mépriser celui qui peine, qui était, est là pour nous, toute l’année.

Les plus mal lotis sont justement ceux qui nous permettent de retourner à une vie, qu’on dit normale.

Le progrès d’une société ne peut être que dans l’unité.

Mais, comme hier, allons-nous les ignorer ? Ils étaient au front et nous, chez nous, à nous plaindre d’être aux abris.

Pourtant, malgré les embûches, les risques, quelle leçon que celle de ces gens de rien, ces femmes et ces hommes où le cœur est plus gros que le portefeuille.

Je veux leur dire à tous, que chaque jour, sur le terrain de la pandémie, ils nous offrent un cadeau précieux, leur vie pour protéger la nôtre.

MERCI ne devra plus jamais être une serrure sans sa clef.

GRÂCE A EUX, DEMAIN JE REVERRAI MES ENFANTS, MES PETITS-ENFANTS.

ALORS OUI, MERCI AUX HÉROS DE L’OMBRE.

 

Eugénie Marec


Il croit bien sa dernière heure arrivée lorsqu’il entend le réveil hurler. L’agression sonore mais bienvenue est aussitôt couverte par son perroquet bavard. La séquence lui confirme en être sorti vivant.

La veille, il a supplié son volatile de compagnie de surtout ne pas le laisser dormir en ce jour tant attendu. Mais un songe bien glauque a mobilisé les neurones d’Augustin Triboulet, Parisien confiné et sorti terrifié d’un cauchemar sanguinolent.

La dernière scène l’a vu se diriger vers sa boucherie de quartier pour y acheter sa tête de veau hebdomadaire. On a ses faiblesses. Il allait y entrer lorsque deux sveltes personnages cagoulés surgirent.

Ils le vaporisèrent avec du spray rouge, avant de s’engouffrer dans le magasin bondé puis se propulser sur le comptoir et y déverser deux poches emplies d’un liquide écarlate, aspergeant les apprentis abasourdis. Les deux acrobates répétaient à haute voix : « Spécistes ! ». Un des apprentis essaya bien de les agripper mais ils se déjouèrent sans mal du courageux commis (d’office) et se jetèrent parmi les clients apeurés et éclaboussés, sortant du magasin aussi vite qu’entrés. Augustin était toujours sur le trottoir, écarlate suite à la généreuse vaporisation, à moins que cela ne fût de colère. Il avança un pied dans l’encadrement de la porte. Une vague envie de faire le malin. Les deux individus évitèrent avec aisance la vaine tentative de bloquage du téméraire. Un coup de boule bien ajusté plus tard, il fût propulsé sur la rue des Martyrs, au moment même où le bus 67 la remontait – à plein gaz – sans que cela ne préjuge du type de carburant utilisé.

À cet instant précis, Charlie, psittacidé domestique très ponctuel, avait émis à tue-bec un superbe « LEROY JENKINS ! » qui accompagnait avec précision le réveil. Résultat d’un entraînement laborieux et de beaucoup de patience pour enseigner à l’oiseau la réplique culte qu’un joueur de Warcraft avait rendu célèbre.

Masquant la sonnerie au bon moment, le cri triomphant a donc sorti Augustin de son cauchemar avant qu’il ne se fasse éparpiller façon puzzle, il va sans dire par le véhicule ératépien qui gravissait la colline de Montmartre. Complètement réveillé, il saisit et feuillette son agenda, y voit avec amusement tous ses rendez vous rayés de traits rageurs. C’était il y a près de deux mois, lorsqu’il s’était retrouvé comme tout le monde, prié de rester chez soi… Sauf que pour ce lundi un peu particulier, une note avait échappé aux ratures.

« Se laisser un peu – juste un peu – porter par le hasard et les nécessités du monde. »

Augustin part alors chercher sa tête de veau pour fêter le jour d’après…

 

Didier Moity


Presque deux mois de confinement. Aujourd’hui est un jour spécial. Je me remémore mes journées rythmées par YouTube et par les rires des filles.

J’ai eu l’idée de consacrer et immortaliser nos meilleurs moments grâce à des films. Pour nous et pour donner des nouvelles aux proches. Ana et Léa ont 4 ans et j’ai usé de divers stratagèmes pour les occuper.

Alors, chaque jour je me suis déguisée et j’ai inventé des sketchs pour émerveiller leur confinement et chasser l’angoisse de leurs cœurs.

Un jour, je me suis habillée avec une robe bleue et j’ai natté mes cheveux. Princesse Elsa leur a donné des cours de chant.

Un jour, j’ai pris l’accent de Ratatouille et j’ai donné des cours de cuisine. Au menu : cookies aux Smarties !

Pour pâques, je me suis déguisée en énorme cloche (pas au sens littéral) et j’ai déposé dans le jardin, ici et là des œufs et des lapins en chocolat. Il faisait chaud sous le costume.

Comment aurais-je pu imaginer que ces mélodies de petits bonheurs, filmées quotidiennement allaient ensoleiller d’autres personnes ? Comment imaginer que ces films sortiraient de la région ?

Aujourd’hui est donc un jour spécial et je suis installée sur le divan, au milieu du plateau, avec la présentatrice assise en face de moi. La boule dans mon ventre remonte peu à peu dans ma gorge. Mon mari aurait été fier de moi.

Quelle situation cocasse ! Se retrouver dans cette émission, après des jours, confinée.

J’ai la sensation d’avoir basculé dans un nouvel univers.

Nous sommes le 11 mai et me voilà propulsée à l’échelle nationale pour raconter ma drôle de vie.

— Bonjour à tous et merci d’être avec nous sur le plateau. Aujourd’hui, une histoire rare et touchante. Celle d’Emma, maman de deux enfants, qui a perdu son mari un peu avant l’épidémie. Elle a réussi à mettre de la lumière dans la vie de ses enfants pendant le confinement. Regardez comment cette maman a réussi à déjouer le virus et à rendre chaque journée extraordinaire.

Voilà, les projecteurs et les caméras se tournent vers moi tandis que le public, derrière moi, applaudit. Et merde, a priori je dois parler. La boule de stress disparaît peu à peu tandis que je prends la parole pour raconter ma drôle de vie, tout en pensant à mon défunt mari.

 

Adeline Demesey


11 mai 2020. Je me souviendrai de la date et d’une triste période. Après des mois de liberté conditionnelle, de liberté surveillée, la porte s’entrouvrira enfin sur une liberté provisoire. On ne sait jamais, si la bête infâme réapparaissait…

Lorsque j’ai appris le déconfinement, un mot du reste qu’il faudra bien ajouter aux dictionnaires, je me suis montré satisfait. Pas vraiment heureux, car personne à risque, je sais que le péril invisible rôde encore autour de moi.

Ses parents travaillant, je m’occupe, non ! je m’occupais de mon petit-fils. Je le récupérais à l’école, je le gardais lors des congés scolaires. Nous partagions nos repas, je passais des heures, des journées en sa compagnie. Et depuis des semaines, le monstre a osé me priver de notre complicité. Exit, les mystères de la nature que je m’évertuais à lui faire découvrir, exit, les jeux qui nous opposaient avec délice, les bêtises, les farces que nous imaginions pour piéger grand-mère, la maison résonnait de nos éclats de rire… Un bonheur à l’état pur, il me tarde de le récupérer…

Et je m’étais promis de l’emmener à la plage dès le confinement levé. Mais voilà, on nous impose une liberté restreinte. Mon rêve s’est éteint. Je l’ai simplement reporté. J’ai la chance extraordinaire de vivre en Corse, alors ce jour-là, nous prendrons nos sacs à dos et nous partirons. Nous emprunterons les sentiers qui serpentent dans le maquis. Nous profiterons des parfums environnants, des senteurs enivrantes du printemps. Nous écouterons le chant des oiseaux et nous tenterons de les reconnaître. Nous irons sur le chemin de Saint-André, jusqu’à cette chapelle en ruine, perdue dans une nature sauvage, loin du village. Nous nous installerons sur l’herbe verte dans un coin de paradis. Nous sortirons le pique-nique et nous mangerons en nous délectant du spectacle. La plaine sous nos pieds, la plage désertée et interdite, la mer, et au loin, je lui apprendrai à identifier Capraia, Elbe, Pianosa, et la fameuse île de Montecristo. Je répondrai encore à une foule de questions…

Avant de redescendre, je sais qu’il cueillera un bouquet de fleurs sauvages pour sa maman…

Oui, j’en suis convaincu, le 11 mai sera une belle journée…

 

Paul Dourret


Je ne compte pas les jours. Trop fastidieux. C’est le quatrième printemps que je passe dans le couloir. Les journalistes l’appellent le « couloir de la mort ». C’est là que je vis. Comment ai-je fait pour arriver là ? Ça n’intéresse personne. Et je n’ai pas envie d’en parler.

Les jours se suivent, tous pareils. Confiné dans ma cellule, je ne me plains pas. Le plus difficile : à part mes gardiens, je n’ai personne avec qui parler. Et on n’a jamais grand-chose à dire à ses gardiens. Alors, c’est gymnastique, un tour dans la cour et bibliothèque. De temps en temps, j’allume la télévision, histoire de prendre des nouvelles du monde libre. C’est là que j’ai appris l’invasion, le Coronavirus et ses conséquences. Incroyable ! Tous les citoyens honnêtes se sont retrouvés en quelques jours enfermés chez eux. Et moi, finalement, comme eux, je mène une vie normale. Alors, je m’y suis intéressé. La télé est devenue ma distraction préférée. Surtout le pitre de la Maison Blanche qui, chaque jour, fait son numéro. Impayable ! L’autre jour, il a atteint des sommets avec les désinfectants et l’eau de javel. Depuis, on le voit moins. Dommage. Il a dû être rayé des programmes.

En tout cas, dans le monde libre, tout s’est arrêté. Plus personne ne peut rien faire. Les plus chanceux peuvent encore faire un tour dans leur cour. Il leur reste la musculation, les livres, la radio, la télévision. Finalement, je fais partie, moi aussi, des plus chanceux. Et je n’ai même pas à me soucier de la nourriture.

Les jours passent, et de plus en plus, à la télé, on nous parle du jour d’après le confinement. Ils nous disent que la vie va forcément bientôt recommencer. Le travail, les sorties, le travail surtout. Mais paraît-il, rien ne sera plus jamais comme avant. Je veux bien. Je crois plutôt que chacun n’a qu’une idée : vite recommencer comme avant.

Ici, le jour d’après, je préfère ne pas y penser. Chaque jour qui passe est un jour d’avant. Je me surprends à faire en sorte que tout soit toujours pareil. Une manière sans doute de conjurer le temps qui passe. En somme, ma vie est devenue une suite, pas interminable bien sûr, de « jours d’avant ». Et je crois bien que ceux du monde libre essayent de faire la même chose.

Le jour va bientôt se lever. J’ai mal dormi. Dans le couloir, des pas se rapprochent…

 Jacques Vazeille


Le coronavirus avait surpris tout le monde. Au début on avait rigolé – Ah ces chinois ils boufferaient bien de la merde ! Puis après les nouvelles d’Italie, on avait moins ri, et quand cette saloperie s’est immiscée en France, là on a plus rigolé du tout, surtout quand comme toujours on a été victimes des religions. Les adeptes d’un foutu congrès religieux dans l’Est avaient contaminé un peu toutes les régions françaises, y compris celles d’outre-mer.

Lionel était allé voir ses parents dans l’Est, et allez savoir comment : bingo ! lui qui était un foutu athée, sans être allé au fameux congrès, avait gagné le virus. 14 jours de confinement chez lui, avec Irène évidement, à qui il avait innocemment refilé le bébé. Au début, on l’a charrié en lui disant : « Quinze jours de tête-à-tête, ça va finir par de la tête-à-queue », c’est vrai ce n’était pas spirituel, mais on n’avait rien trouvé d’autre d’original à son niveau à lui dire, surtout quand on a vu, de loin, car ils restaient confinés, qu’ils en bavaient dur, et que les plaisanteries n’était pas en cette période leur préoccupation première.

Tous les copains toubibs y allaient de leurs conseils, plus ou moins contradictoires, et même les copains qui n’avaient ni contact, ni connaissance en médecine ne pouvaient s’empêcher également de les faire profiter de leurs croyances. Mais son exemple avait incité les amis à sortir foulard et masque pour espérer se protéger.

À part Lionel, nul parmi les copains n’écopa du fameux virus. Il faut dire que nous suivions consciencieusement les consignes de confinement et qu’aucun d’entre nous ne prenait la chose à la rigolade, sans pour autant aller jusqu’à friser la folie comme la boulangère.

La boulangère, qui était un peu tordue dans une période normale, était complètement givrée sous l’influence du virus. Responsable Gilet jaune, anti-tout et tous, à la recherche perpétuelle d’une « tête de turc » à critiquer,

Aujourd’hui, c’était la « libération » pour certains. Ils allaient enfin pouvoir mettre le nez dehors. Moi avec mes 87 balais, je n’avais pas le droit de faire dépasser mon nez de la fenêtre avant quelques jours, et j’en étais fort aise. Mes jours heureux se clôturaient, seul dans mon atelier de peinture ou devant mon ordinateur à imaginer des nouvelles pour participer à ces concours de débutants, le confinement m’allait très bien. Il ne changeait rien de mes habitudes si ce n’est qu’il me délivrait des courses, qu’une dévouée amie s’était imposée de faire – sans doute un relent d’éducation politique. Vous raconter les joies et les événements joyeux ? Ne comptez pas sur moi, je reste bosser tranquille.

Bernie Lee


Ô surprenant confinement !

Ô surprenant confinement !

Tes effets sont déconcertants

Tu as pris ma tête en otage

De confuses pensées de peur

Contraignent mon corps et mon coeur

À se languir dans une cage

Devenue ma triste demeure

Afin d’éviter le naufrage

Ô surprenant confinement !

Tes effets sont déconcertants

Tu m’as proposé un voyage

Tourner les yeux vers l’intérieur

À la recherche du meilleur

Le souffle chasse le nuage

De l’angoisse et de la noirceur

Dès lors cesse le bavardage

Ô surprenant confinement !

Tes effets sont déconcertants

Tu m’as insufflé du courage

Dans l’ombre de la profondeur

Est apparue une lueur

Illuminant les avantages

De cette vie à l’intérieur

Pour se préparer au passage

Vivre le déconfinement

L’esprit vigilant et confiant

En savourant l’instant présent

Sans rechercher « la vie d’avant »

 

Anne Lafarge


Le premier jour d’après, j’irai embrasser celles et ceux que je n’ai pas vus depuis plusieurs semaines et leur dire combien je les aime et que je ne les oublie pas.

Je serai heureux de chausser mes chaussures de randonnée et partir à l’assaut des montagnes. Traverser les forêts aux multiples essences dotées d’une grande gamme de verts comme on en trouve au renouveau de la nature. S’asseoir dans l’herbe et écouter le chant des oiseaux, admirer les fleurs qui frissonnent sous le vent dans leur robes printanières, cueillir des fraises des bois, humer le vent qui souffle dans les cheveux, et profiter pleinement du paysage, une fois arrivé au sommet. Tombe une averse soudaine qui fait remonter les odeurs de terre et de feuilles, et prendre à pleins poumons cet humus qui vaut tous les parfums du monde.

Respirer enfin la vie, la vraie vie, celle qui nous fait du bien et nous rend le sourire. Difficile de rester chez soi quand le soleil brille et que tous les arbres sont en fleurs. L’humain est fait pour vivre à l’extérieur, gravir des montagnes, marcher sur les sentiers, naviguer sur les mers ou survoler notre planète bleue.

Et, la tête dans les nuages, rêver d’un prochain voyage…

Vivre intensément chaque seconde, chaque minute, tous ces instants qui feront de notre nouvelle vie un plaisir intense.

Prenons la vie à pleines mains, comme si nous devions mourir demain.

 

Michel Haton

Commentaires

  • Salut Anne(Lafarge), tu auras gagné un lecteur, grâce au covid 19. Jamais évident de  » dénicher » un auteur au milieu d’une interminable liste de noms. Bien qu’agnostique, je pratique à l’occasion, un St Bris, un Nuit St Georges( en début de mois!!), un St Romain et sans oublier corona oblige le (St) Véran du ministre de la santé!! J’ai hâte de découvrir tes deux livres..il doit me rester un vieux Mercurey de chez Juillot, ou peut être un Jadot oublié???Je te donnerai mon avis sur ces lectures. Portes toi bien et santé, sans modération au cas ou le covid reviendraitn’ ayant pas de regrets!!! gérard baudoing-savois

  • Merci d’avoir sélectionné mon texte…
    Je dois dire que si j’avais pu exprimer tout ce que cette expérience m’a suggérée,il me faudrait 100 pages, tant de questions,tant d’aberrations, mais tant de beaux gestes.
    C’est une période qu’il ne faudra pas oublier.
    Maintenant, la dame d’un certain âge que je suis, s’interroge et s’inquiète, pas pour moi, pour les autres, car cette deuxième vague sera provoquée par ceux qui, quelques jours avant, confinés, avaient peur de la contamination et qui, aujourd’hui s’éparpillent, se retrouvent les uns auprès des autres, pensant que la pandémie s’est enfuie avec le déconfinement.
    Que dire, que faire pour que les mêmes erreurs ne se reproduisent pas, je commence à me décourager de ce monde que je croyais naïvement être devenu adulte, responsable et surtout lucide, mais rien ne change.
    L’expérience des anciens ne profitent pas, pour le moment, mais…
    J’y crois encore, un sursaut viendra peut-être…
    Bien à vous,
    Eugénie Marec

  • Je suis comme cette luciole étonnée de voir qu’une chose si importante provoque tellement peu d’impacts chez l’homme, du moins si peu de temps.

    Hélas…

    Les hommes se soucient peu du danger, ils ne pensent qu’au gain.

    L’histoire de ce covid est la, finement raconté, avec la douceur des questions de cette luciole surprise, et la voix qui est là pour répondre clairement à ce qui devrait être évident, ce qui aurait dû nous affecter bien plus.

    Impactée et encore avec des traces, je suis certaine d’avoir changé, je puiserai de mes mots si il le faut pour libérer ceux qui sont pris dans la mauvaise vague.

    Un GRAND Merci a Mme Gibert Marianne pour ce jolie texte qui m’a touché et que je qualifie aussi beau que le cerisier au printemps.

    Sonia

  • Bonjour
    j’ai tout lu et ce serait bien difficile de faire un choix pour dire quel texte me plait le plus.
    Peut-être le poème d’André Marras, tout en alexandrins et en simplicité (même si ce n’est pas si simple d’écrire de vrais alexandrins).

    Ce mini-concours était en tout cas une bonne idée qui permet de voir différents styles. Il y en aura peut-être d’autres s’il y a un re-confinement… non allez, je ne veux pas porter la poisse…peut-être pas besoin de ça.

    J’ai bien aimé tous les textes dans l’ensemble, avec une préférence pour ceux de Benoit Sorel, de Didier Moity et d’Adeline Demesey.

    Adrien

Laisser un commentaire

*Champs obligatoires