Le jour d’après (4/5)

Encore une belle fournée de textes inspirés pour notre mini-concours... C'est aussi une bonne occasion de découvrir la plume des auteurs autoédités chez BoD. N'hésitez…

14.05.2020 · Caroline Duchesnes Écrire

La porte vient de claquer dans mon dos. Son bruit n’en finit pas de tourner dans la cage d’escalier. Je l’écoute s’évanouir avant de descendre. Mes baskets crissent sur le carrelage propre. Mon corps alourdi dévale les marches comme un galet roule sur une butte. Sur chaque palier, les judas ignorent mon passage, une odeur de cuisine plane depuis le deuxième étage. Je suis seule. Là, l’antique porte en chêne m’attend, imposante et majestueuse. Le pêne automatique claque dans la gâche. Une pluie de lumière s’abat sur mon visage. Je la reçois comme l’eau de ma douche. Là-haut, des étourneaux se chamaillent en tournaillant dans un ciel bleu.

Plus rien à lire. Je n’avais plus rien à lire. Le libraire m’a dit : « Viens vers 10 heures, j’aurais préparé ta commande. » Mon sac à main frappe ma hanche à chaque pas. Je n’ai pas oublié d’y glisser mon portefeuille… Je pousse la porte avec le coude. L’odeur du papier s’engouffre dans mes narines. Coincée dans la boutique depuis des semaines, elle n’a eu de cesse de se dilater. À mon arrivée, elle m’accapare, court se réfugier sous mon masque, jusque dans mes poumons. J’ouvre un livre. Il me parle. Chaque page tournée pousse toujours plus loin son haleine boisée.

Dehors, mon pas hésite. Devrais-je rentrer ? Après ce confinement interminable, ce serait absurde, il me reste deux heures avant de renouer avec la civilisation. Au bout de la rue, le jardin public me fait de l’œil. J’aperçois les premières roses courir le long des grilles, et les arbres sentinelles surveiller les allées. J’y trouverai un banc.

Tandis que les oiseaux s’époumonent encore dans le calme des premières heures du jour, un joggeur passe devant moi en petites foulées. Je cherche du regard un endroit où me poser. Là-bas, près du lilas en fleur, à deux enjambées d’une statue tapissée de mousse, est assise une femme. Mes pas me conduisent vers elle, comme par instinct. Elle a la trentaine et tient un livre ouvert sur ses genoux. « Installez-vous ici, me dit-elle, joyeuse, en me désignant l’autre extrémité du banc. En ce jour exceptionnel, je savais bien que je ne serais pas la seule à être atteinte du virus de la lecture… »

 

Franceline Bürgel


J’ouvre enfin la porte menant vers la liberté. Je me libère des lourdes chaînes, fais un pas et me voilà à l’extérieur. Le soleil me brûle les yeux d’une lumière vive et mes poumons se remplissent d’un air nouveau, inconnu, frais et pur. « Me voilà au Paradis », pensais-je.

Mon corps pourrissait depuis bien trop longtemps dans la caverne qui me servait de maison. Nous étions tous meurtris mais nous sentons à nouveau la vie parcourir nos veines et atteindre notre cœur !

Devant moi, le théâtre de la vie reprend : la scène s’anime. Ҫà et là, les acteurs rejouent leur rôle d’âmes qui peuplaient autrefois les rues, les quartiers, les boulevards, les villages et les villes. Ces mêmes âmes qui, depuis de longues et insoutenables semaines, ont été torturées chez elles ; ces mêmes âmes qui, depuis de si petites minutes, ont ressuscité.

Les chants des pigeons, des corbeaux et des pies laissent place aux chants des moteurs vrombissants des voitures, des motos et des bus. Les salutations se font de nouveau entendre et les discussions ressurgissent. Chacun de nous paraît tel un enfant émerveillé essayant de marcher et de comprendre le monde qui l’entoure. Nous nous redécouvrons. Toutefois, nous sommes effrayés du virus qui, comme un monstre dans la nuit, se tapit sous notre lit. Nous usons alors des masques tels des couvertures pour nous protéger de lui. Nous sommes encore bien trop fragilisés et bouleversés.

L’appartenance au monde d’avant s’est dissipé : nous voici dans une nouvelle planète habitée par de nouveaux individus. « C’est différent », ai-je pensé. Le temps des habitudes reviendra ; le temps des doutes s’envolera. Aujourd’hui, profitons.

 

Gabriel


Comment il voit l’après 11 mai

 

Je m’appelle Paul. Je suis le héros du dernier roman de Didier  : Une forme de joie. Il me sort des pages où je somnolais, peinard, pour me demander tout à trac :

— Dis moi, Paul, imagine que tu vives pour de vrai pendant la pandémie actuelle de Coronavirus.

— Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

— C’est un virus que personne ne connaissait jusqu’au début de l’année 2020. Il t’infecte par le nez puis envahit les poumons, tu ne peux plus respirer. Tu as une forte fièvre, tu n’as plus de goût, tu es très fatigué.

— Tu crois que ton Coronavirus aurait été pire que de déprimer, de n’avoir goût à rien, d’appeler la mort, de se barricader chez soi, de ne rien manger ?

—Bien pire. Les malades ne parvenaient plus à respirer s’ils n’étaient pas intubés en urgence.

Paul a un souci d’audition. Il lui arrive de plus en plus souvent en vieillissant de mal comprendre ce qu’on lui dit, de prendre un mot pour un autre. Il lui arrive aussi d’en jouer. Je ne suis donc pas surpris qu’il réponde à côté de la plaque :

— Ça veut dire quoi, être infusés ? Si c’est boire des infusions, tu repasseras, j’ai jamais aimé ça.

— Je t’ai dit « intubé », pas « infusé ». Les médecins te placent des tuyaux pour que tu parviennes à respirer, t’alimenter et tout le reste.

Le « reste » effraie Paul. De ses hospitalisations successives il a gardé de mauvais souvenirs, être perfusé, piqué, lavé, torché, il n’en veut plus. Alors, intubé… J’essaye de lui expliquer cette période qu’il n’a pas vécue et mesure à quel point ce que nous vivons est inouï.

— Tu serais resté enfermé – on dit confiné dans la vraie vie (curieux d’appeler ça la « vraie vie » mais passons) pendant 2 mois de plus que dans le livre. Toi qui as l’expérience de la solitude entre 4 murs, dis moi : qu’est-ce qui te ferait plaisir lorsque tu serais autorisé à sortir, chez nous ça se passera le 11 mai ? Te promener ? Voir tes amis, ta famille ? Picoler ? Bosser ?

— Je resterais bien tranquille. Je me serais trouvé en m’isolant. Je savourerais le présent. Lire, écouter, méditer. Être zen.

 

Didier Amouroux


Ce 11 mai tant attendu et tant redouté est enfin arrivé !

J’ouvre les yeux et je regarde mon réveil : 8 h 30. J’ai pris de mauvaises habitudes pendant ces longues semaines de confinement. Debout à 6 heures tapantes pour accompagner mon fils jusqu’à son collège car il n’y a pas de bus scolaire, je suis une lève-tôt.

Quelle atmosphère étrange ce matin !

Je fais claquer les volets ; j’observe le paysage. Les vaches paissent dans le champ face à ma maison, indifférentes à tous les événements qui se sont produits depuis le 17 mars. La voiture de mon voisin passe. Il n’a pas l’air pressé de reprendre le travail ! Idem pour ma voisine, enseignante en maternelle, qui met un temps incalculable à refermer son grand portail en bois.

La vie d’avant reprend mais elle semble décalée, irréelle.

Je n’ai pas vu le temps passer. Les premières semaines ont été consacrées à un nettoyage de printemps radical. Le tas d’objets désormais inutiles s’amoncelle dans l’allée de calcaire au bout de mon terrain.

Je souris et descends jusqu’à la cuisine encore silencieuse. Toute la famille a perdu ses repères temporels. Les grasses matinées se succèdent sans que quiconque n’éprouve le moindre remords.

C’est comme si les grandes vacances avaient été avancées. Il est vrai que le soleil omniprésent, le chant des oiseaux (j’ai même découvert le nom d’un oiseau qui pépie nuit et jour, le rossignol philomèle), le brouhaha des tondeuses, les cris des enfants qui jouent au ballon dans les jardins, les odeurs de saucisses grillées ont brouillé les pistes.

Je suis prête à me rendre en ville mais j’ai peur. Même munie de mon masque et de mes gants, je crains de voir une foule de gens déambuler dans les rues de Montargis. La deuxième vague de ce Covid-19 tant annoncée me terrifie. Je ne veux pas faire partie des prochaines victimes !

Il faut pourtant que j’aille faire le plein de courses pour toute la famille. Mais j’avoue que j’apprécie de sillonner les rayons presque déserts du supermarché. Je déteste la foule. Sans être agoraphobe, je supporte difficilement l’agitation, le bruit.

Allez courage ! Je verrai bien ! Mon appréhension n’est, peut-être, pas justifiée.

 

Véronique Videau-Martinez


J’ai quatre vingts ans bien sonnés. Je ne suis pas malade mais les longues promenades à pied, ce n’est plus pour moi. Les enfants sont partis là où se trouvait le travail. La solitude, je connais, elle ne me fait pas peur. Les journées à n’attendre rien, c’est mon quotidien, depuis longtemps. Les nuits en pointillés ne sont pas signe de soucis mais signe de l’âge. Mes repères sont : le passage du facteur, la préparation du repas, le goûter devant un jeu télévisé puis la soupe du soir. Il y a bien par-ci par-là un appel téléphonique, une course à la supérette, un passage à la pharmacie. Alors, le confinement, pour moi, ça n’a pas changé grand chose.

Pourtant, si, quelque chose a fini par me manquer. J’ai apprécié d’entendre à nouveau les oiseaux, de ne plus sursauter aux brusques coups de freins. J’ai aimé le silence : pas de moteurs, ni sur terre ni dans l’air. Une certaine légèreté apaisait toute velléité de conflit.

Cependant quelque chose me manque. Quelque chose d’aussi vrai que le ciel au-dessus de nos têtes. Quelque chose d’aussi doux que le vent dans le feuillage. Le jour d’après le confinement, quand je pourrai m’éloigner de plus d’un kilomètre de chez moi, je prendrai le bus, jusqu’à la mer. Là, je m’assiérai sur un banc, face à l’océan. Je fermerai les yeux, entièrement baignée dans le bruit des vagues. Ce bruit comme une berceuse, comme une caresse. Je me laisserai flotter dans ce cocon d’écume vivante. Je pourrai enfin sentir mon corps s’alourdir, s’ancrer dans le bien-être retrouvé. Et cette dureté qui s’était installée en moi sans que je m’en aperçoive, cette dureté s’envolera avec les embruns et les mouettes.

 

Danielle Nasom


Il était une fois…

L’histoire ne finit pas,

Surtout pas là…

Mais ce jour viendra

Où tout commencera.

De chez toi, tu sortiras

Ébloui de lumière,

Un pas en avant,  puis en arrière,

Un pas vers l’inconnu

Sur une vie discontinue…

 

La nature a repris

La force de ses bruits,

Le parfum de son vent,

Les couleurs d’un « avant »,

La douceur de son cri,

La clarté d’un « merci » !

 

Il  était une fois

L’histoire du Corona…

Nous sommes les survivants

Sages et humbles titans,

Aux mains gantées d’un  «autrefois»,

Aux visages sans voix,

Masqués pour se cacher

D’un présent altéré

 

Demain, notre jour d’après

Ébahi de liberté

N’effacera jamais

L’adieu imaginé de te serrer

Dans mes bras fatigués,

Dans ce jour d’après,

Il y a des rires d’enfants,

Une vie qui nous attend…

Vite, prenons le temps

Encore une fois… À demain…

Lydia


À la fois tant espéré et tant redouté, le jour d’après a une saveur amère et salvatrice en même temps. L’amertume de ce qui ne sera désormais plus comme avant, une découverte de nos émotions face à l’inconnu qui s’ouvre à nous. L’ennemi rode à notre insu, invisible à l’œil nu et pourtant si présent. Cette fausse liberté qui nous est rendue essaie de s’immiscer en nous mais ceci n’est qu’un leurre. Il faudra désormais vivre différemment et le monde auquel nous étions accoutumés n’est plus qu’un lointain souvenir comme si tout avait été détruit. La planète nous invite à une renaissance, après deux mois sur une voie sans issue, à travers des sentiers sinueux nous menant vers une route énigmatique, et le chemin du renouveau s’ouvre à nous lentement. Il appartient maintenant à chacun d’entre nous d’entrevoir clairement le cheminement vers le jour d’après, unique, et de se l’approprier comme une délivrance de ce que nous étions. Le monde était aveugle et le 11 mai saura nous ouvrir les yeux sur ce que nous sommes devenus et plus important encore, qui nous pouvons vraiment être. Le jour d’après n’est pas l’avenir mais le commencement. Le virus nous a chassé du paradis terrestre car nous en avions fait un enfer. La nature s’est débarrassée de la pollution dont nous l’avions inondée, elle nous a envoyé un message, criant son désespoir à chacun d’entre nous. Le virus nous a renvoyé à notre carcan de mortel qui sait que la vie n’est pas un long fleuve tranquille mais une chance qui nous est donnée. À nous de faire que le jour d’après dure le plus longtemps possible. L’opportunité de vivre est entre nos mains, la planète nous a donné une deuxième chance.

 

Emma Lucce

Commentaires

  • Bonjour,
    C’est un plaisir de lire ces textes et de voir combien notre perception de ce Jour d’Après est différente.
    J’ai une petite préférence pour les textes de Didier Amouroux pour son originalité et Nicole Nasom pour sa poésie.
    Bravo pour avoir lancé ce concours !

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